Chronique éphémère
Sur le Fil
Nota bene : ce poème en prose est issu d’un collectage réalisé cet été à Cordes sur Ciel avec mes chers collègues de RaconTarn auprès d’artisans, de savoir faire & de savoir vivre… Parfois les paroles que l’on nous confie nous bousculent, nous font prendre conscience par leur fulgurance de l’urgence certaine à …prendre le temps… le temps de vivre…
Sans le savoir, elle marchait funambule sur un fil fragile. Ce chemin un jour s’est rompu, elle l’a saisi d’une main. Suspendue à sa vie au-dessus du grand vide, elle se balançait en regardant les couleurs fondre tout au fond du ravin…
Elle s’est laissée rattraper par une main tendue qui lui a offert un métier. C’était nouveau pour elle, pourtant un métier ancien.
“Quand on ouvre les marches, avec la navette, on passe à travers la foule”…
Il faut remonter le fil du savoir-faire, d’abord monter la chaîne et la trame, avec calcul et minutie, avant cela débobiner puis tendre les fil, avant cela encore, il faut filer. Prendre su temps pour soi, remonter sur son fil et avancer en confiance, en conscience…
Dans son atelier au plancher de bois, d’un pas léger, funambule, elle se déplace d’un endroit à l’autre. De la cardeuse au rouet, au métier à tisser, elle poursuit son ouvrage en défiant l’ennui. Elle rembobine le fil de la condition humaine, immémoriale, dans le présent, avec présence. Le passé…
Le passé comme un tas de toisons grasses, de moutons ou de chèvres. Le plus sale se dépose en pleine terre, offrande , protection, nourriture… Le reste est à ouvrir doucement : ouvrir la laine pour en extraire les noeuds, les poussières, les brindilles. Laver, sécher, carder au plus fin, puis laisser la laine filer entre ses doigts. Ses doigts tissent des vêtements pour le corps, des toiles pour les rêves, des habits pour l’âme…
Dans ce mouvement, en continu, des pieds, des mains et de tout son coeur, elle se relie à elle-même, et au monde. Dans son atelier au plancher de bois, en secret elle crée un lien sensible, précieux, invisible, entre les êtres, à l’infini…